La classification des diarrhées chroniques selon les mécanismes de la diarrhée est forcément trop schématique car une cause donnée de diarrhée chronique peut faire intervenir plusieurs mécanismes (ex : une cryptosporidiose ou une giardiose de l’intestin grêle provoquent une diarrhée de mécanisme mixte : sécrétion et malabsorption). Les mécanismes de la diarrhée ne sont pas strictement indépendants entre eux (ex : une diarrhée sécrétoire majeure entraîne parfois par elle-même une accélération du transit intestinal).
1 – Diarrhée motrice
Les selles sont typiquement post-prandiales, impérieuses, groupées en salves, et contiennent des débris alimentaires. Le temps de transit du rouge carmin est accéléré. La diarrhée répond au moins partiellement aux ralentisseurs du transit et elle cède au jeûne.
La cause la plus fréquente est représentée par les troubles fonctionnels intestinaux, dans leur forme avec diarrhée (voir chapitre 20). L’hyperthyroïdie vient ensuite.
Beaucoup plus rares sont :
– les tumeurs carcinoïdes intestinales ;
– les cancers médullaires de la thyroïde (sécrétant la thyrocalcitonine) ;
– les dysautonomies compliquant un diabète insulino-requérant ancien et mal équilibré ou l’amylose.
2 – Diarrhée osmotique
La diarrhée est hydrique, sans altération de l’état général ni malabsorption et cède lorsque les agents osmotiques ne sont plus présents dans la lumière intestinale.
Les principales causes sont :
– les diarrhées brèves après l’ingestion de grandes quantités de lactose (perte à l’âge adulte de l’activité lactasique dans l’intestin grêle) ou de polyols ;
– et les exceptionnelles diarrhées factices par ingestion cachée de laxatifs salins.
3 – Malabsorption
Les diarrhées par malabsorption peuvent être responsables de carences et de perte de poids malgré des apports alimentaires qui peuvent être conservés. Les carences peuvent porter sur les électrolytes (calcium, magnésium), les vitamines (vitamines liposolubles ADEK, folates, vitamine B12) et les oligoéléments (zinc, sélénium), responsables de signes cliniques variés (tableau 33.I), auxquels il faut ajouter les possibles douleurs osseuses (ostéomalacie), crises de tétanie (carence en calcium, magnésium), troubles visuels (carence en vitamine A) et retard de croissance chez l’enfant et l’adolescent. Les selles sont réparties, volumineuses, parfois visiblement graisseuses (auréole huileuse sur le papier hygiénique).
1. Maladie coeliaque
C’est la cause la plus fréquente de diarrhée par malabsorption. La maladie coeliaque est définie par :
– un syndrome de malabsorption associant plus ou moins des manifestations cliniques (diarrhée, douleurs abdominales, amaigrissement) et/ou biologiques de malabsorption. Les manifestations peuvent se résumer à une anomalie biologique (anémie microcytaire isolée par exemple) ;
– histologiquement, une atrophie villositaire totale ou subtotale, parfois partielle ;
– la régression des symptômes et des carences après un régime sans gluten strict associée à une amélioration lente des lésions histologiques.
La maladie coeliaque est une maladie auto-immune qui se développe sur un terrain génétique de prédisposition (HLA DQ2 ou DQ8 présent dans 95 % des cas) par intolérance aux protéines contenues dans le gluten (blé, seigle, orge). La prévalence estimée en Europe et aux États Unis est estimée entre 1/100 et 1/200, mais la majorité des cas sont peu ou asymptomatiques. La révélation de la maladie coeliaque a deux pics de fréquence, l’un dans l’enfance, l’autre à l’âge adulte, le plus souvent entre 20 et 40 ans. La majorité des diagnostics se font actuellement à l’âge adulte, et les formes à révélation tardive sont en augmentation constante. La maladie coeliaque est 2 à 3 fois plus fréquente chez la femme.
Le risque de maladie coeliaque est accru chez les apparentés au premier degré des malades ayant une maladie coeliaque (10 %), chez les patients atteints de dermatite herpétiforme ou d’autres maladies auto-immunes (notamment diabète, thyroïdite, cirrhose biliaire primitive, vitiligo).
La forme clinique classique avec diarrhée chronique et signes cliniques de malabsorption est devenue minoritaire. Les formes cliniques pauci-symptomatiques peuvent être confondues avec des troubles fonctionnels intestinaux jusqu’à ce que la maladie coeliaque soit évoquée et recherchée. Enfin, de plus en plus souvent, la maladie coeliaque est évoquée puis confirmée dans des contextes variés :
signes biologiques isolés de malabsorption (fer, folates, vitamine B12), cytolyse hépatique inexpliquée, aphtose buccale récidivante, arthralgies et déminéralisation diffuse, troubles neurologiques (épilepsie, neuropathie carentielle, ataxie) ou de la reproduction chez la femme (aménorrhée, infertilité, hypotrophie foetale, fausses couches à répétition).
La preuve histologique de la maladie coeliaque est obtenue par des biopsies duodénales distales au cours d’une endoscopie digestive haute, mettant en évidence, par rapport à un relief villositaire normal :
– une atrophie villositaire totale ou subtotale ;
– une augmentation du nombre des lymphocytes intra-épithéliaux ;
– une infiltration lympho-plasmocytaire du chorion avec présence de polynucléaires éosinophiles.
Les anticorps sériques anti-endomysium de type IgA et anti-transglutaminase sont les plus sensibles et les plus spécifiques du diagnostic de maladie coeliaque. Une fois le diagnostic établi, le bilan initial doit comporter un dosage sanguin de certains électrolytes et micronutriments (calcium, magnésium fer, folates, vitamine B12), un temps de prothrombine, un bilan hépatique et une ostéodensitométrie à la recherche d’ostéopénie.
Le traitement de la maladie coeliaque repose sur le régime sans gluten. Les farines de blé, de seigle, d’orge contiennent des peptides toxiques pour la muqueuse intestinale des sujets coeliaques. Tous les aliments ou médicaments contenant ces farines ou leurs dérivés doivent être supprimés. Le maïs et le riz sont utilisables sans réserve, et l’avoine, considérée autrefois comme délétère, est maintenant autorisée. L’explication du régime par une diététicienne expérimentée est nécessaire, et l’adhésion auprès d’associations de malades est préconisée afin d’obtenir la liste actualisée des produits et médicaments sans gluten. Ce régime est contraignant, difficile à suivre en collectivité et au restaurant, mais doit être poursuivi toute la vie. Il est parfois nécessaire au début de corriger certaines carences (calcium, fer, vitamine B12). Sous régime sans gluten strict bien suivi, les signes cliniques et les anomalies biologiques régressent habituellement en 1 à 3 mois, les anticorps spécifiques se négativent après un an. L’atrophie villositaire ne régresse généralement pas avant 6 à 24 mois de régime sans gluten. En cas de résistance au régime sans gluten, la première cause en est la mauvaise compliance. Un lymphome invasif ou une sprue réfractaire (lymphome intra-épithélial) sont les complications rares, mais graves de la maladie coeliaque et pourraient être favorisés par un mauvais suivi du régime sans gluten. L’ostéopénie, présente au moment du diagnostic dans 50 % des cas chez les patients coeliaques symptomatiques ou non, régresse en partie après l’éviction du gluten.
2. Recherche d’autoanticorps : diagnostic de la maladie cœliaque et suivi de l’observance du régime sans gluten.
– les entérites radiques compliquant une irradiation abdomino-pelvienne ;
– la diarrhée secondaire à une résection étendue de l’intestin grêle ;
– les lymphomes intestinaux ;
– les entéropathies médicamenteuses fonctionnelles (biguanides) ou organiques (clofazimine) ;
– l’ischémie artérielle chronique de l’intestin (douleurs post-prandiales précoces et amaigrissement presque constamment associés) ;
– la pullulation microbienne chronique de l’intestin grêle, pouvant ellemême être secondaire à :
• une achlorhydrie (maladie de Biermer),
• des troubles moteurs primitifs de l’intestin (pseudo-obstruction intestinale chronique),
• une diverticulose de l’intestin grêle ;
– la maladie de Whipple. Elle associe une polyarthrite séronégative d’évolution capricieuse et prolongée et une diarrhée chronique dont l’apparition peut être tardive, avec malabsorption intestinale. Les atteintes neurologiques (démence, ophtalmoplégie, myoclonies) et cardiaques sont plus rares. Il existe fréquemment de la fièvre, une altération de l’état général, une polyadénomégalie et une pigmentation cutanée. La biopsie du duodénum montre une infiltration du chorion par des macrophages contenant des inclusions PAS-positives, parfois une atrophie villositaire partielle. Il s’agit d’une maladie infectieuse dont la bactérie a été identifiée (Tropheryma whippelii). La présence de la bactérie peut être confirmée par PCR dans le sang et la muqueuse duodénale. Le traitement repose sur une antibiothérapie au long cours (tétracyclines ou triméthoprime sulfaméthoxasole pendant au moins un an).
4 – Diarrhée sécrétoire
La diarrhée est typiquement abondante (> 500 mL/jour), hydrique, source d’une fuite importante de potassium et de bicarbonates. Elle ne régresse pas complètement au cours du jeûne.
Les causes fréquentes de diarrhée chronique à mécanisme au moins en partie sécrétoire sont les colites microscopiques (voir chapitre 8) et certaines parasitoses chroniques, en particulier sur terrain d’immuno-dépression (Giardia intestinalis, Isospora belli, Cryptosporidium).
Les causes beaucoup plus rares sont les tumeurs endocrines sécrétant du VIP (vasoactive intestinal peptide) et les mastocystoses.
5 – Diarrhée volumogénique et exsudative
La diarrhée volumogénique est très rare et due à une hypersécrétion gastrique majeure induisant une insuffisance pancréatique. La diarrhée résultante peut ressembler à une diarrhée motrice ou une diarrhée de malabsorption. Les causes principales sont le syndrome de Zollinger-Ellison (gastrinome) et la mastocytose systémique.
L’exsudation consiste en la fuite dans la lumière digestive de composants du sang (protéines, cholestérol, lymphocytes). Elle est confirmée par une clairance de l’α1-antitrypsine supérieure à 20 mL/jour. Lorsqu’elle est majeure, elle peut aboutir à une carence sérique en albumine, cholestérol, immunoglobulines, et à une lymphopénie L’exsudation digestive complique la plupart des entéropathies organiques (ex : maladie de Crohn étendue). Elle est aussi observée dans les causes de mauvais drainage lymphatique intestinal, en particulier au cours de la très rare maladie de Waldmann par agénésie des canaux lymphatiques, avec lymphangiectasies diffuses à l’histologie duodénale.